Une ville médiévale façonnée par la légende et l’histoire

Thann doit son nom au mot celtique « tannen », le sapin, qui évoque déjà l’enracinement profond du lieu. Selon la légende, c’est à Thann que s’arrêta la légendaire relique de Saint-Thiébaut, déclenchant croyances et pèlerinages dès le XIII siècle (Office de Tourisme Thann - Cernay). Mais loin de s’arrêter au mystique, Thann a vu passer marchands, puissants comtes, ducs et évêques, profitant de sa place stratégique entre Plaines et Vosges.

Le plan urbain garde la trace de cette époque : rues sinueuses, vestiges d’enceintes, maisons groupées autour de l’impressionnante collégiale. Thann a, au fil des siècles, jonglé entre défense, commerce et spiritualité, multipliant édifices civils, religieux et militaires.

La Collégiale Saint-Thiébaut : le joyau du gothique alsacien

Impossible d’aborder Thann sans évoquer son monument emblématique. Classée Monument Historique dès 1841, la collégiale Saint-Thiébaut figure parmi les plus belles églises gothiques de France. Édifiée de 1332 à 1516, elle combine une élévation saisissante et une profusion de détails sculptés.

  • La flèche ajourée, haute de 78 mètres, rivalise avec celle de la cathédrale de Strasbourg.
  • Son portail occidental, orné de plus de 500 sculptures finement travaillées, narre en images la Bible et les légendes locales.
  • Ses vitraux datent du XIII au XIX siècle, certains remarquablement conservés, notamment ceux de la Passion du Christ.
  • Le chœur polygonal, l’imposant buffet d’orgues Silbermann (1755) et la chaire sculptée complètent la richesse de l’ensemble.

Détail original : la collégiale fut bâtie progressivement, le chantier ayant connu interruptions et reprises suivant conflits et épidémies. L’association récente « Sauvegarde de la Collégiale » permet encore aujourd’hui de préserver ce chef-d’œuvre pour les générations futures (collégiale-thann.com).

Le retable du XVe siècle : un trésor caché

Parmi les pièces insignes conservées dans la collégiale, le retable de la Passion, daté de 1498, mérite une attention particulière. Peu médiatisé, cet ensemble polychrome, composé de panneaux peints et sculptés, fut caché pendant la Révolution puis restauré au XXe siècle. Il est visible dans la chapelle Saint-André, et a été classé au titre des Monuments Historiques. Avec ses détails minutieux – visages expressifs, drapés d’une finesse singulière – c’est l’un des rares retables gothiques fixés dans le Haut-Rhin.

Maisons à colombages et demeures patriciennes : l’autre visage de Thann

Sortir de l’ombre de la collégiale, c’est partir à la découverte de l’urbanisme civil de Thann. La ville recèle plus de 80 maisons à colombages, dont plusieurs figurent à l’Inventaire Supplémentaire des Monuments Historiques (Base Mérimée).

  • La maison de l’Œil-de-Sorcière, rue Gerthoffer, attire le regard avec ses pans de bois et ses encorbellements en losange. Datée du XVI siècle, elle doit son nom au petit oculus central de sa façade.
  • Aux numéros 26 et 28 de la rue Saint-Thiébaut, deux anciennes demeures de vignerons arborent des décors peints évoquant l’abondance viticole locale. Thann fut, jusqu’au XIXe siècle, une cité viticole très prospère.
  • La maison de la Cigogne, rue de la 1ère Armée, est parmi les plus anciennes, construite en 1550. Sa charpente et ses poutres sculptées témoignent du savoir-faire artisanal local.

Des rues comme la rue des Tanneurs offrent un alignement remarquable d’habitations à pans de bois, alternant façades colorées et linteaux gravés. Souvent, ces maisons cachent des caves voûtées utilisées pour le stockage du vin ou des denrées, rappelant l’activité commerçante de Thann à la Renaissance.

Fortifications, portes et ponts médiévaux : Thann, ville défendue

Au Moyen Âge, l’enceinte de Thann comptait jusqu’à 10 tours et trois accès fortifiés. Si beaucoup furent détruits lors des sièges ou urbanisations ultérieures, quelques vestiges subsistent et méritent l’attention des promeneurs attentifs.

  • La Porte de la Tour des Sorcières (Tour des Sorcières) domine toujours la Lauch et marque l’entrée est du centre-ville. Construite au XIII siècle, rehaussée XVI, elle servit de prison aux femmes accusées de sorcellerie à l’époque des grands procès alsaciens.
  • Ponts anciens : le Pont du Mühlbach, en pierre, permettait d’assurer le commerce et la défense. Son parapet porte encore des marques d’armes de guet historiques.

Un parcours découverte, balisé de 25 panneaux, permet aujourd’hui de reconstituer l’ancien tracé des fortifications et d’imaginer l’ambiance d’une ville sous haute surveillance.

La Commanderie des Hospitaliers : le patrimoine discret des ordres religieux

Restaurée au XIX siècle, la Commanderie des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem est rarement citée dans les guides touristiques. Pourtant, son enceinte, ses vestiges de chapelle pré-romane et ses bâtiments conventuels racontent un autre pan de la vie médiévale – celui des soins aux voyageurs et pèlerins.

  • On y trouve encore des arcs brisés, des fresques murales fragmentaires et un puits profond, utilisés dès le XI siècle.
  • Le complexe a servi successivement d’hôpital, d’écurie, d’école puis d’établissement vinicole, illustrant la réutilisation constante des lieux du patrimoine à Thann.

La Renaissance et les styles baroques : témoignages d’un renouveau urbain

Si la période médiévale a laissé ses empreintes majeures, Thann s’est embelli au fil du temps d’éléments Renaissance et baroques, reflets de sa vitalité commerçante.

  • La Fontaine de la Vierge (1578), tout en grès sculpté, fut la première fontaine publique de la ville. Elle révélait la soif d’ornementation des marchands fortunés de l’époque.
  • L’Hôtel de Ville, reconstruit XIX mais comportant de nombreux éléments antérieurs, aligne pilastres, baies à frontons et un élégant escalier à double volée.

Nombre de linteaux et de portails sont ornés d’emblèmes vignerons, symboles de la prospérité de Thann à la charnière des XVIII et XIX siècles.

Thann industriel : l’empreinte laissée par la modernité

L’histoire de Thann ne s’arrête pas à la fin du Moyen Âge. Le XIX siècle voit la ville se transformer : l’industrie textile s’installe dans la vallée, relayée par la chimie (l’usine Kestner, fondée en 1826, deviendra l’une des pionnières du traitement du soufre en France TIC Association).

  • Certains anciens bâtiments industriels, comme la Manufacture de Coton édifiée sous l’Empire, sont reconvertis en logements, structures culturelles ou ateliers, perpétuant une tradition d’innovation sous des façades du XIX siècle.
  • Le quartier de la Gare présente l’alignement typique des constructions de la Belle Époque, marquant l’arrivée du chemin de fer en 1839, l’un des plus anciens tronçons d’Alsace.

Cette évolution urbanistique contraste avec la vieille ville, offrant un panorama architectural allant du gothique triomphant à la modernité fonctionnelle.

Curiosités et éléments singuliers : repères à ne pas manquer

Quelques détails, parfois à hauteur d’enfant, parfois dissimulés sous les toits, sont les vrais trésors de Thann pour l’œil curieux :

  • Gargouilles animalières sur la collégiale : lions, chouettes, mollusques sculptés dans la pierre.
  • Enseignes en fer forgé : témoignages du commerce prospère, plusieurs enseignes classées ornent encore les ruelles commerçantes.
  • Cadran solaire rare sur la façade du 12 rue Gerthoffer, daté de 1781, utilisant non seulement l’heure solaire, mais aussi le calendrier liturgique selon le rite catholique.

Thann allie ainsi la splendeur monumentale à une infinité de petits trésors discrets, marquant la ville comme un livre ouvert sur l’histoire alsacienne.

Pour prolonger la découverte : musées et patrimoine vivant

Le musée de la Porte Sud abrite une riche collection d’objets liturgiques, de plans anciens et de maquettes, offrant une introduction pédagogique à l’histoire architecturale de Thann. Le Circuit du Patrimoine, disponible à l’Office de Tourisme, guide les amateurs à travers une quarantaine de points remarquables, du sommet du vignoble du Rangen aux chapelles cachées du centre ancien.

Chaque année, la Fête de la Pentecôte ranime la tradition de la crémation du sapin sur la colline du Schlossberg, alliant folklore et splendeurs nocturnes – un instant où l’architecture devient cadre et actrice de la vie collective.

L’Alsace authentique, à travers les pierres de Thann

Découvrir Thann revient à arpenter un résumé vivant de l’Alsace architecturale : ici, styles et bâtisseurs se sont croisés, entremêlés, parfois affrontés, pour offrir une ville généreuse en émotions patrimoniales. Des mystères du gothique flamboyant aux surprises des caves de vignerons, des ponts défendus aux linteaux sculptés, Thann invite à la curiosité, au respect de la pierre, à la rencontre de celles et ceux qui y vivent encore l’histoire au quotidien.

Pour ceux qui désirent sortir des itinéraires classiques, Thann offre ainsi une expérience à la fois savante et sensible – miroir fidèle d’une Alsace plus complexe qu’il n’y paraît.

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