Une cité au cœur de l’Alsace historique et géographique

Entre Strasbourg et Colmar, Sélestat occupe une place à part sur la carte et dans l’histoire de l’Alsace. Parfois éclipsée par ses voisines, la ville se révèle à qui prend le temps d’écouter ses pierres et ses habitants : car Sélestat, loin d’être une simple halte sur la Route des Vins, est le témoin d’une Alsace multiple, vivante, et viscéralement culturelle.

Fondée à l’époque carolingienne, Sélestat prospère dès le Moyen Âge, profitant de son emplacement privilégié entre Rhin et Vosges. La richesse de son histoire s’incarne dans un exceptionnel patrimoine architectural, religieux, mais aussi dans le dynamisme associatif et la vivacité de ses traditions. Les historiens retiennent notamment Sélestat comme le berceau officiel du « sapin de Noël », grâce à un manuscrit de 1521 conservé à la Bibliothèque Humaniste, mentionnant cette coutume pour la première fois (source : LCI).

La Bibliothèque Humaniste, un trésor inattendu classé à l’UNESCO

Impossible d’évoquer la culture à Sélestat sans mentionner sa Bibliothèque Humaniste. Réouverte au public en 2018 après une rénovation spectaculaire signée de l’architecte Rudy Ricciotti, elle abrite 550 manuscrits, plus 460 incunables (livres imprimés avant 1501) et quelque 2 500 livres imprimés des XVIe et XVIIe siècles. Ce fonds remarquable figure au Registre Mémoire du monde de l’UNESCO depuis 2011 (UNESCO).

Ce n’est pas qu’un musée : la Bibliothèque Humaniste est un lieu vivant, qui organise expositions, lectures, ateliers et concerts, le tout dans un dialogue constant entre les trésors du passé et la création contemporaine. Ainsi, chaque visite se fait rencontre intime avec Érasme, Beatus Rhenanus (né à Sélestat en 1485), ou encore Martin Bucer, tous jalons d’une histoire européenne en pleine ébullition intellectuelle à la Renaissance.

  • Objectif pédagogique : Les ateliers permettent aux enfants de manipuler des fac-similés et de calligraphier à l’ancienne.
  • Expositions temporaires : Certains manuscrits rarement dévoilés y sont présentés, en alternance pour préserver leur état.
  • Visites guidées et nocturnes : Où les guides font revivre l’esprit humaniste avec anecdotes savoureuses sur les érudits locaux.

Sélestat, l’épicentre spirituel du sapin de Noël

Si le sapin de Noël est aujourd’hui un emblème mondial, la plus ancienne mention connue au monde figure dans les archives de Sélestat, datée du 21 décembre 1521 (France Bleu). Chaque hiver, Sélestat rend hommage à cette tradition avec une scénographie poétique à travers la ville et dans l’église Saint-George, présentant des sapins décorés selon les usages des siècles passés. On y découvre que :

  • En 1600 déjà, on suspendait pommes, hosties ou décors en papier à ces premiers arbres de Noël.
  • Le sapin n’était à l’origine réservé qu’aux corporations de charpentiers et de bouchers.
  • On retrouve des carnets de commande attestant l’achat collectif de sapins au XVIe siècle, une pratique alors unique en Europe.

La « Route des sapins » proposée pendant l’Avent à Sélestat n’a rien d’un folklore figé : elle invite à interroger la transmission des traditions au fil du temps, et à entrer dans une Alsace vécue par ses habitants, de génération en génération.

Un patrimoine architectural hors du commun

Sélestat, c’est le cœur battant d’un art de bâtir sobre, massif, souvent méconnu. Deux églises majeures dominent la ville :

  • L’église romane Sainte-Foy (XIe siècle), dont la pierre blonde des Vosges renvoie à des influences clunisiennes, mêle sobriété et puissance mystique. Les chapiteaux racontent les légendes bibliques dans une mise en scène unique en Alsace.
  • L’église gothique Saint-George, édifiée du XIIIe au XVe siècle, frappe par sa clarté intérieure et la virtuosité de ses vitraux. Près d’une centaine de figures y dialoguent dans la lumière, notamment un cycle rare sur la vie de Sainte Élisabeth de Hongrie.

Dans les rues du centre, la Renaissance a laissé des marques discrètes : oriels, encadrements sculptés, cours intérieures cachées. On remarque également l’Hôtel de Ville néoclassique (1788), élégant et sobre, symbolisant la période d’ouverture sur le XVIIIe siècle.

Un détail surprenant : la ville conserve aussi les portes de son enceinte médiévale (tour des sorcières et tour neuve), témoignages d’un passé militaire, mais aussi… du goût des Sélestadiens pour les histoires fantastiques et les récits populaires.

Un lieu d’échanges, de foisonnement associatif et de festivités

Sélestat revendique une forte identité culturelle, bien au-delà du patrimoine monumental. C’est une ville de rencontres, depuis le Moyen Âge où s’y tenaient de grandes foires régionales, jusqu’à aujourd’hui, grâce à un tissu associatif particulièrement dense (plus de 450 associations pour 19 500 habitants, selon la Ville de Sélestat – ville-selestat.fr).

  • Le Carnaval de Sélestat, au cœur de l’hiver, anime tout le Centre-Alsace avec ses chars, ses fanfares, ses spectacles de rue. Plus de 20 000 visiteurs s’y pressent chaque année, perpétuant une tradition remontant au XIXe siècle.
  • Les Tanzmatten : cette salle de spectacle accueille théâtre, musique, danse, humour, et festivals, en croisant les propositions nationales et les créations locales.
  • Les Estivales de Sélestat (juillet-août) ; un festival de musique et de convivialité sur les berges de l’Ill, mêlant découvertes artistiques et rencontres apéritives.
  • Marché de Noël atypique : ici, la transmission l’emporte sur la démesure. Au-delà des cabanes, artistes, conteurs et artisans proposent de vraies rencontres autour du fait-main.

Ce foisonnement favorise la créativité et rassemble des habitants aux cultures diverses, entre Alsace, Allemagne et ailleurs. C’est aussi une terre d’accueil pour les jeunes artistes et collectifs, attirés par la taille humaine de la ville et l’ouverture de ses équipements.

Des musées et découvertes méconnues

  • Le Musée du Pain d’Épices et de l’Art Populaire Alsacien propose au sud de Sélestat une immersion sensorielle dans la tradition gourmande régionale. Récits, ustensiles anciens, senteurs de cannelle, dégustations, la visite est un voyage pour petits et grands.
  • La Maison du Pain – dans le centre, met à l’honneur la tradition boulangère alsacienne, avec ateliers, fournil en activité et collections d’objets du XVIIe au XXIe siècle. On y apprend par exemple que le « Bretzel » servait, au carême, de récompense pour les enfants sages!

Rares sont les villes de cette taille en France à offrir un tel panel de musées vivants, ancrés dans le quotidien plutôt que dans la contemplation distante.

Un point de départ idéal pour explorer le Ried et la plaine d’Alsace

Au-delà du centre historique, Sélestat est un formidable point d’entrée vers les paysages du Ried, ces prairies inondables entre l’Ill et le Rhin, classées Natura 2000 (OT Sélestat). Ce territoire fragile abrite une faune exceptionnelle : 186 espèces d’oiseaux recensées, des cigognes (plus de 50 couples nicheurs recensés sur le secteur), hérons, libellules rares. La balade peut se faire à vélo entre Sélestat, Marckolsheim et les villages typiques du Ried – idéal pour alterner culture et immersion nature.

Cette proximité avec la nature irrigue la vie locale : chaque année en mars, la Fête de la Cigogne attire curieux et ornithologues, dans une ambiance familiale où patrimoine naturel et traditions sont intimement liés.

Une ouverture sur l’Europe et une tradition d’accueil

Membre du réseau « Ville d’Art et d’Histoire », Sélestat cultive de longue date une ouverture internationale, due à sa situation de carrefour : à 30 minutes de l’Allemagne, 20 minutes de Colmar, desservie par TGV, la ville a toujours été une plaque tournante pour le commerce mais aussi pour les idées.

L’héritage de la Réforme, la présence de minorités religieuses dès le XVIe siècle, la tradition du débat humaniste ont fait naître une culture locale du respect et de l’échange. Les nombreuses jumelages de la ville (comme Waldkirch en Allemagne, Charleville-Mézières en France) sont autant d’occasions d’échanges culturels vivants.

Pour aller plus loin : immersion dans une ville à taille humaine, vibrante et discrète

Sélestat n’est pas une ville-musée. Ici, l’hospitalité s’exprime à travers les libraires de quartier, les boulangers qui expliquent leur savoir-faire, ou les guides bénévoles de la Société d’Histoire et d’Archéologie. Ici, l’Alsace se raconte à voix basse, dans le détail d’un heurtoir, le parfum du pain chaud, ou le sourire d’un artisan du marché. Sélestat offre cette alchimie rare : un équilibre entre le témoignage du passé, la vitalité du présent et la promesse d’expériences à venir pour celles et ceux qui osent franchir le seuil.

Si l’Alsace sait parfois se montrer spectaculaire, elle se dévoile aussi dans ces carrefours moins attendus. Sélestat incarne parfaitement l’âme authentique de la région, où l’on vient chercher plus qu’une belle photo : une rencontre, et la certitude que l’histoire continue de s’écrire, jour après jour, dans le cœur de ses habitants.

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