Une frontière entre Nord et Sud : plus qu’une géographie, une histoire

Difficile de parler des différences sans mentionner le découpage du territoire alsacien. Le nord, ancré dans la plaine rhénane et le piémont des Vosges du Nord, s’étend du Pays de Wissembourg à la région de Saverne et du Pays de Hanau ; le sud, c’est la Haute-Alsace, entre Colmar, Mulhouse, les contreforts du Sundgau et la vallée de Guebwiller. Entre les deux, la grande plaine, Heidelberg en écho et souvent un relais entre deux expressions de l’âme alsacienne.

Historiquement, la situation géographique est décisive : frontières mouvantes, influences allemandes, suisses ou de la Franche-Comté, périodes de division et de réunification. Jusqu’à la Révolution, la Haute-Alsace (sud) était rattachée à l’Empire autrichien des Habsbourg, tandis que le nord connaissait une histoire plus proche des principautés germaniques (source : Archives Départementales du Bas-Rhin).

Les architectures se révèlent : colombages du nord, pierres du sud ?

Première distinction évidente, l’architecture :

  • Nord : la sobriété dominante Les villages du nord, comme Hunspach, Seebach, ou Hoffen, sont réputés pour leur alignement strict de maisons à colombages blancs, rehaussées parfois de volets verts ou bleus. La cour fermée, souvent en U, permet d’abriter familles et activités agricoles. Les encadrements de fenêtres sont moins ouvragés, les poutres souvent peintes ou chaulées. Le torchis et l’enduit clair dominent. Cette sobriété s’explique en partie par les ressources limitées du terroir et une tradition baignée de discipline rurale (Parc naturel régional des Vosges du Nord).
  • Sud : le décor et la couleur Les villages de la Haute-Alsace, comme Eguisheim, Kaysersberg ou Gueberschwihr, affichent une palette de couleurs chatoyantes, résultat de leur tradition viticole. Les encadrements sont en grès rose ou jaune, les colombages parfois peints en rouge, vert olive, bleu pétrole. Plus proches de la Suisse et de la Franche Comté, on retrouve aussi la pierre massive, notamment dans les villes comme Thann ou Guebwiller. Le décor sculpté (animaux, emblèmes religieux ou de corporations) fait partie du quotidien. Ici, la vigne est partout présente, même sur les armoiries et dans les formes architecturales.

À noter : Seebach au nord et Eguisheim au sud sont tous deux classés parmi les « Plus Beaux Villages de France », mais la différence saute aux yeux : droiture et uniformité au nord, exubérance et rondeur au sud.

Des accents entre Waldeck et Sundgau

La diversité linguistique contribue fortement à caractériser les cités du nord et du sud. L’alsacien est partout, mais ses accents et ses mots diffèrent.

  • Nord : Le dialecte est plus guttural, plus proche du francique rhénan. De Wissembourg à Haguenau, on entendra « guet » pour dire « bien », là où le sud préfère « schön ». Les expressions évocatrices comme « Schpeck un Brot » (lard et pain) ou « Schaffa wie ene Elsässer » (travailler comme un Alsacien) fleurissent dans le langage courant.
  • Sud : Parfois surnommé « bas-rhinois » au nord et « haut-rhinois » au sud, l’alsacien du sud est plus doux, avec de fortes influences suisses et badoises. On y retrouvera nombre d’emprunts à l’alémanique du Bade-Wurtemberg, et des sons moins rudes : le traînant dans les noms, et une musicalité adoucie.

Selon une enquête menée pour l’OLCA (Office pour la Langue et les Cultures d’Alsace et de Moselle), plus de 70% des adultes du Sundgau disent comprendre ou parler l’alsacien, contre moins de 55% au nord (OLCA, 2022).

Des économies et styles de vie façonnés par le terroir

  • Nord : forêts et artisanat L’environnement du nord, fait de collines, de forêts et de rivières, explique l’ancrage profond du bois, du verre et du travail du fer. Saverne, Wissembourg ou La Petite-Pierre étaient des places stratégiques pour le commerce du bois, les fonderies (Sturzelbronn) ou le verre (Meisenthal, mondialement connu pour sa verrerie d’art). Les marchés hebdomadaires témoignent encore aujourd’hui de cette tradition paysanne et artisanale.
  • Sud : la vigne et la ville Au sud, la diversité des paysages se traduit dans la vie quotidienne. La vigne domine dans le piémont des Vosges : près de 95% du vignoble alsacien classé Grand Cru se situe au sud de Sélestat (source : CIVA – Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace). Colmar, Kaysersberg ou Eguisheim vivent au rythme des vendanges et des fêtes bachiques. L’industrialisation de Mulhouse marque aussi le territoire, avec une tradition ouvrière et une architecture urbaine (quartiers « Neustadt» Mulhousiens, Cité du Train).

Patrimoine et identité : fêtes, rituels et traditions vivantes

  • Nord : C’est au nord que les traditions rurales ont résisté le plus longtemps. Les coutumes religieuses comme le « Streisselhochzeit » (mariage traditionnel) de Seebach (plus de 8 000 visiteurs chaque été selon l’Office de Tourisme du Pays de Wissembourg), les cortèges de lanternes, et les fêtes de la Saint-Jean rappellent un attachement très fort aux cycles de la nature. Les carnavals du nord, longtemps prohibés pour des raisons religieuses, ont ressurgi au XXe siècle : le fameux « Hans Trapp » de Wissembourg demeure une figure effrayante, à la différence de « Père Fouettard » plus anecdotique au sud.
  • Sud : Ici, les fêtes viticoles rythment l’année : la « Fête des Vins » d’Eguisheim attire chaque été plus de 20 000 participants (source : OT Eguisheim), et la procession de l’Assomption à Thann demeure un événement religieux majeur. À Colmar, le marché de Noël, l’un des plus fréquentés de France (plus de 1,2 million de visiteurs en 2023 selon la Ville de Colmar), prend racine dans la tradition des marchés de l’Avent, là où le nord préfère les cortèges de l’Épiphanie.

Des variantes persistent au niveau culinaire : la tarte flambée (Flammekueche) plus fine et à pâte croustillante au nord, plus épaisse et riche en crème au sud ; la carpe frite emblématique du Sundgau, quasi absente des tables du nord.

Reconnaître une cité de caractère : critères partagés, mais personnalités uniques

L’association nationale « Petites Cités de Caractère » recense aujourd’hui 9 cités alsaciennes labellisées (dont Wissembourg, Bouxwiller au nord ; Kaysersberg, Eguisheim, Guebwiller au sud – Source : Petites Cités de Caractère). Toutes partagent :

  • Un patrimoine architectural d’exception et authentiquement préservé (églises fortifiées, maisons à oriel — —, vestiges de remparts)
  • Une vie associative et cultuelle intense (fraternités, fêtes, carnavals)
  • La valorisation du savoir-faire artisanal (vitrail à Obernai, poterie à Soufflenheim, tissage à Mulhouse)

Mais le sentiment du visiteur diffère : au nord, la quiétude, une certaine réserve, une histoire marquée par les frontières et les invasions ; au sud, une atmosphère plus méridionale, chaleureuse, où la vigne, la fête et la couleur imprègnent chaque ruelle.

Nord et Sud : se réinventer pour demain

Aujourd’hui, ce clivage reste vivant mais se teinte de nuances. Les villages du nord innovent en valorisant leur patrimoine paysan (chemins de randonnées thématiques, résidences d’artistes, écomusées locaux). Au sud, l’économie touristique se diversifie : oeno-tourisme responsable, projets culturels (Kunsthalle de Mulhouse, Musée Unterlinden à Colmar rénové).

De tous côtés, un mouvement commun : protéger le patrimoine bâti et naturel, revitaliser les centres anciens, et transmettre un art de vivre alsacien qui, du nord au sud, reste profondément ancré dans l’histoire et la diversité du territoire (Alsace 20 ; Grand Est).

Pistes pour des découvertes différentes

  • Pour les amateurs de discrétion et d’authenticité rustique : cap au nord vers Hunspach, Seebach, Niederbronn-les-Bains ou Bouxwiller, à explorer à pied ou à vélo – mention spéciale pour la Route des Châteaux forts d’Alsace.
  • Pour les amoureux de couleur, de vigne et d’événements festifs : le sud offre Eguisheim, Kaysersberg, Riquewihr, mais aussi Guebwiller et Thann, sur la route des vins ou au pied du Grand Ballon.
  • Envie de comparer ? Essayez de visiter en hiver une cité de caractère du nord (Marché de Noël de Bouxwiller, Les Lumières de Saverne) puis traversez la région pour le printemps à Eguisheim ou Colmar : deux expériences, deux atmosphères, une même passion pour l’Alsace vivante.

Des cités de caractère du nord aux bourgs du sud, la diversité alsacienne ne demande qu’à se dévoiler au fil d’une promenade attentive. Plutôt que de hiérarchiser ou d’opposer, goûter la singularité de chaque terroir, c’est savourer pleinement l’Alsace, dans ce qu’elle a de plus vrai et de plus vivant.

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